Près de 20% des suicidés ont écrit une lettre ou laissé une note avant de s’enlever la vie.
Les destinataires sont des proches, conjoints ou enfants, parents ou amis,
les autorités civiles ou religieuses, la police ou la personne qui trouvera le corps.
La lettre d’adieu est une «construction narrative de soi» où la personne,
décidée de se suicider, veut laisser la trace d’un «moi durable».
On y trouve la marque d’un «soi intransigeant»
Les lettres d’adieu sont des matériaux autobiographiques
qui révèlent divers éléments de la subjectivité de la personne suicidaire:
son imaginaire et ses fantasmes, ses références symboliques et ses croyances,
ses sentiments et ses émotions, sa vie intérieure et son libre arbitre,
ses angoisses et ses espoirs, ses désirs et ses valeurs,
son raisonnement et son argumentation en faveur de la mort volontaire.
Généralement l’auteur de la lettre ou de la note atteste qu’il accomplit son geste en toute liberté
et en toute connaissance de cause, qu’il n’est contraint par personne.
Il révèle souvent aussi son état d’âme du moment: fatigue, déception,
maladie, détresse, désespoir, souffrance physique ou morale.
Il s’adresse à des destinataires précis pour leur dire au revoir,
regretter la peine qu’il leur fait et les réconforter, leur pardonner ou leur demander pardon,
les déculpabiliser: «Ce n’est pas ta faute, tu n’y es pour rien», ou parfois les culpabiliser:
«C’est toi qui es la cause de tout cela», dire merci ou renouveler son amour pour toujours,
donner des conseils ou faire des reproches, réconcilier les proches entre eux,
exprimer des attentes posthumes, par exemple, être oublié au plus tôt, survivre dans la mémoire d’autrui,
rencontrer les proches déjà décédés, laisser à son entourage un bon (rarement un mauvais) souvenir,
souhaiter que justice soit faite et que sa mort soit vengée.
Une lettre d’adieu est donc un rite de réparation pour le suicide
dont les auteurs savent qu’il est perçu par les proches comme une agression contre eux.
Elle est aussi un rite de partage (l’auteur distribue ses biens, ses vêtements, ses parfums,
ses bijoux, son corps); un rite de réconciliation ou de vengeance,
de poursuite d’une communication au-delà de la mort.